À court terme, le dialogue social complique la tâche des directions d’entreprise. Mais, selon une récente étude de l’économiste Jacques Freyssinet, à moyen et long terme, il peut aussi favoriser l’émergence d’innovations très bénéfiques dans le domaine de la gestion des ressources humaines et du management. À condition toutefois que ce dialogue soit bien mené…
Tout commence par une énigme économique. Si, comme le professent nombre d’économistes orthodoxes, “l’élimination de tous les obstacles à la libre gestion de l’entreprise et au libre fonctionnement du marché du travail constitue un puissant stimulant de la productivité du travail”, alors comment expliquer que le Royaume-Uni, qui a mis en œuvre ces recettes, pâtisse d’une productivité horaire inférieure de 27 % à celle qui prévaut en France ?
Pour élucider ce paradoxe, l’économiste Jacques Freyssinet, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), a compilé une série d’études réalisées dans les deux pays. L’une d’entre elles apporte un début d’explication en soulignant que les entreprises françaises utilisent beaucoup plus fréquemment les outils modernes de gestion des ressources humaines (GRH). Sur douze indicateurs balayant des pratiques relevant de l’organisation du travail, des incitations financières et de la gestion par objectifs, les entreprises tricolores surpassent leurs rivales britanniques dans dix cas !
L’hypothèse de Jacques Freyssinet est que “plus la protection des salariés est faible, soit par la législation, soit par la présence syndicale, et plus les managers peuvent considérer que la menace du licenciement ou de l’interruption d’emplois précaires constitue le stimulant le plus efficace et le moins coûteux”, alors qu’à l’inverse, “plus la protection des salariés est forte, plus le coût du licenciement est élevé, et plus les managers ont intérêt à trouver des formes positives d’incitation à l’effort”. Si bien que “les contraintes institutionnelles seraient alors des facteurs d’innovation managériale” bénéfiques à l’engagement durable des salariés et à la productivité de l’entreprise.
Précisons toutefois que cette thèse séduisante ne se vérifie qu’à la condition que le dialogue social prenne la forme d’une recherche sincère de solutions et de gains mutuels. Sans quoi les contraintes ne débouchent, comme on ne le sait que trop, sur l’incompréhension mutuelle et la paralysie.
Pour aller plus loin : “Relations d’emploi, représentation des salariés et performance productive”, par Jacques Freyssinet, in Chronique internationale de l’IRES, n° 157, mars 2017 .