Pour de nombreux DRH, la nécessité de mettre en place un Comité Social et Économique (CSE) d’ici le 31 décembre 2019 a d’abord été envisagée comme une nouvelle contrainte : encore un changement à gérer ! D’autant que la création de cette nouvelle instance vient remettre en cause un système qui avait certes ses pesanteurs et ses rigidités mais que l’on était parvenu à dompter…
Toutefois, cette mutation des structures représente aussi de belles opportunités qui, ensemble, concourent à la définition d’une véritable stratégie sociale et à un profond renouvellement du dialogue social.
Voici lesquelles.
La nécessité de définir une stratégie sociale est induite par la nature même du CSE. Cette nouvelle instance généraliste représente en effet beaucoup plus qu’une simple addition des anciennes instances représentatives du personnel. Vouée à traiter de tous les sujets, elle oblige évidemment à les relier et les articuler entre eux, comme l’illustre d’ailleurs le regroupement, par la loi Rebsamen du 17 août 2015, des sujets faisant l’objet d’une obligation de consultation en trois grands blocs. Au-delà du changement de forme, les acteurs des relations sociales sont donc confrontés à un changement d’approche. Alors que les anciennes structures découplaient les sujets, favorisant ainsi une approche spécialisée et technicienne, le CSE incite à une approche globale et systémique, assise sur une vision. “Cette évolution n’est pas sans rappeler celle qui a affecté l’entreprise elle-même avec la disparition progressive des fameux silos dans lesquels perduraient des compétences exclusives. Et comme dans l’entreprise, cette mutation va conduire chacun des acteurs concernés à abandonner leur quant à soi”, observe un dirigeant. La création du CSE oblige donc à envisager les relations sociales de façon stratégique, comme un élément à part entière de la stratégie de l’entreprise.
La définition d’une stratégie sociale est d’autant plus nécessaire que la création du CSE s’inscrit dans un mouvement peut-être plus profond encore d’élargissement des latitudes offertes aux acteurs de l’entreprise dans la définition de leurs relations sociales. En généralisant la primauté des accords d’entreprise – à l’exception de certains points considérés comme d’ordre public ou relevant encore exclusivement des négociations de branche – les ordonnances Macron de septembre 2017 ont élargi l’horizon des possibles. Les relations sociales sont désormais moins corsetées juridiquement, si bien que certains partenaires sociaux y voient un changement de paradigme. “Avant, explique un DRH, nous étions surtout attentifs à respecter la loi, les règlements et la jurisprudence. Notre métier était prioritairement orienté par la conformité. Il fallait surtout être dans les clous… Désormais, il implique une plus grande part de créativité.” Ne nous y trompons pas : il s’agit d’une créativité collective puisque le périmètre des accords dépendra précisément de la capacité des acteurs à trouver un terrain d’entente. Cette nouvelle donne conduit donc à passer d’une confrontation balisée par les règles juridiques à un dialogue orienté par des considérations stratégiques partagées.
La stratégie sociale poursuivie ne devra toutefois pas négliger les enjeux qui se nouent au quotidien sur le terrain. On touche ici à une possible contradiction des ordonnances Macron. En effet, en faisant primer les accords d’entreprise sur les accords de branche, ces ordonnances permettent de mieux prendre en compte les situations spécifiques de telle ou telle entreprise. Mais, dans le même temps, en offrant au CSE un rôle prépondérant dans la concertation et la consultation elles conduisent à une forme de centralisation au sein même de l’entreprise. D’où le risque, fortement ressenti par les DRH, de perdre le contact avec le terrain, faute de disposer des remontées qu’assuraient autrefois les délégués du personnel. La stratégie sociale de l’entreprise se devra donc d’intégrer une réflexion sur les structures à mettre en place pour éviter toute déconnexion. Cela tombe bien : en la matière aussi, les latitudes offertes sont beaucoup plus larges qu’auparavant. Selon un DRH, “une réflexion prioritaire devra porter sur la création des ‘représentants de proximité’ et sur leur rôle. Doivent-ils être cantonnés à la seule prévention des risques professionnels et à la qualité de vie au travail ou doit-on leur confier des missions plus larges et ambitieuses ?” Une chose est sûre : une bonne stratégie sociale ne pourra fonctionner en s’appuyant sur le seul CSE tant la qualité des relations sociales dépend aussi du dialogue quotidien. Le global devra s’articuler avec le local.
Pour relever le défi que représente la définition d’une stratégie sociale, la formation des hommes représente un enjeu majeur, aussi bien pour les organisations syndicales que pour les entreprises. “Le nouveau format des relations sociales exige de nouvelles compétences, d’ailleurs assez proches de celles exigées des cadres dans l’entreprise post-taylorienne”, souligne un directeur d’établissement. En effet, tandis que, dans l’ancien système, les compétences techniques et spécialisées pouvaient peu ou prou suffire à poursuivre un dialogue social très formalisé ou à décliner un accord de branche, le nouveau système demandera aussi d’avoir, outre une bonne compréhension des enjeux globaux de l’entreprise, le goût de l’innovation et l’esprit d’initiative. Cette nouvelle donne exige bien sûr de donner à l’ensemble des acteurs du dialogue social les moyens d’accomplir leur mission dans de bonnes conditions. C’est bien sûr vrai du représentant de l’employeur chargé de présider le CSE et des personnels chargés d’animer le dialogue social au quotidien, à commencer par les directeurs d’établissements et les RRH. Mais cela vaut aussi pour les élus du personnel qu’il convient notamment de rassurer en termes de carrière pour s’assurer de leur engagement. Dans ce nouveau système, plus encore qu’auparavant, la qualité du dialogue social dépendra de celle des hommes !