Avant le covid
Comme toutes les entreprises agroalimentaires de son bassin d’activité du sud-ouest de la France, la société a été perturbée par la pandémie actuelle. Traditionnellement, le climat est plutôt serein sur ce site de production qui compte un peu plus de 500 personnes. La représentation syndicale y est complète et responsable, tournée vers la défense de l’emploi ; la direction y est plutôt à l’écoute.
Donc en mars 2020, tout va très bien ! ou presque…
A signaler peut-être un plan de départs volontaires en 2019 : 3 départs pour 1 recrutement extérieur, ce qui a partiellement renouvelé les équipes de production, et fait émerger une vision du travail un peu différente parmi les salariés, faisant du même coup évoluer (légèrement) le climat social de la production, voire compliqué quelque peu le travail des managers.
Premier confinement
A l’annonce du premier confinement, puisque l’entreprise produit des produits alimentaires de première nécessité, il est clair que la production va continuer : la plupart des salariés sont donc présents sur le site de mars à mai. Seuls quelques fonctionnels sont en télétravail et quelques salariés en arrêt de travail pour garde d’enfant.
Direction et syndicats travaillent main dans la main pour organiser la production du site dans les meilleures conditions, et la CSSCT est attentive sur le terrain pour veiller à ce que la sécurité sanitaire des salariés soit assurée du mieux possible et que la production se poursuive ainsi dans des conditions optimales.
Lors de ce premier confinement, le siège Europe, organisation matricielle oblige, manifeste son soutien au site en envoyant sur le site le DG Europe, puis le patron de la production Europe et le DRH Europe. Lors de leur venue, les messages sont positifs, porteurs de respect et d’encouragement pour ces valeureux salariés qui continuent à travailler, alors que la production en France est en partie à l’arrêt.
A ce moment-là, quelques signaux faibles pourraient quand même alerter. Des salariés s’étonnent que les patrons Europe viennent sur le site en plein confinement. Les mesures d’urgence sanitaires seraient-elles à géométrie variable ? La direction Europe a-t-elle sérieusement pris conscience de la situation, zone rouge oblige ? Ceux qui sont en télétravail et à la maison pour garde d’enfants s’impatientent, et après plusieurs semaines, expriment leur mal-être. D’autant que le Président Macron vient dans son allocution de remercier ceux qui travaillent, et que le Ministre de l’économie parle de prime covid pour ceux qui sont à la tâche. Information confirmée par l’annonce de versement de ces primes par plusieurs entreprises du secteur. Les travailleurs en première ligne, télétravailleurs et ceux qui n’ont d’autre solution que de rester chez eux avec leurs enfants seraient-ils laissés pour compte ?
En CSE, les représentants du personnel demandent logiquement la prime covid ; mais la direction du site puis la direction Europe refusent. Un refus mal pris par le personnel de production qui a poursuivi le travail en prenant tous les risques, quand d’autres restaient au chaud chez eux. Une demande de prime mal perçue par les salariés restés chez eux, alors même qu’ils n’ont pas nécessairement fait le choix de télétravailler ou de se mettre en arrêt maladie pour garde d’enfant.
Des fissures sociales apparaissent à différents niveaux. La base dit aux syndicats : « vous êtes mauvais, vous n’avez même pas réussi à obtenir la prime que bien d’autres ont pourtant touchée. ». Les syndicalistes sont tiraillés : faut-il demander plus à la direction ou rester coopératif ? Au sein des OS elles-mêmes, on n’est pas d’accord sur l’attitude à adopter.
Au retour des vacances d’été, la tension sociale ne retombe pas. Elle a même augmenté : les vacances n’ont pas réglé les problèmes, au contraire, ils sont toujours là. Et la rentrée amène son lot de perturbations dans la planification de la charge de travail. Celle-ci fluctue au gré des demandes des clients, perturbant par là-même la capacité de l’entreprise à planifier la production.
Deuxième confinement
Quand l’annonce est faite d’un 2è confinement, les galères du premier refont surface. Et le climat se dégrade sérieusement : les syndicalistes annoncent ne plus bien tenir le terrain, des leaders d’opinion type « chevalier blanc » prennent le contrôle de la base sur le thème de la prime covid ou de faits managériaux pas trop appréciés (liés notamment aux évolutions de charge : pourquoi suis-je au chômage partiel quand lui n’y est pas ? Ou l’inverse.). La direction réalise qu’elle a mal évalué la peur des salariés demeurés sur site au travail, et mal mesuré l’énervement des populations restées en confinement.
La situation est complexe : insatisfaction protéiforme, revendications multiples des syndicats, capacité des personnes à exprimer leur mal-être rationnellement. Les syndicats sont démunis car ils ne sont plus en maitrise. La direction Europe continue de son côté à travailler sur les charges, indifférente à la situation sociale du site. La hiérarchie du site se trouve déstabilisée, sans bien comprendre toutes les décisions prises au siège.
Afin d’appréhender ce contexte complexe, Cardinale sud élabore un diagnostic de climat social : selon une méthodologie éprouvée, des groupes d’expression représentatifs sont animés. Au total ce sont près de 60 salariés qui s’expriment en face-à-face ou en petits groupes. Qu’ils soient salariés, syndicalistes ou responsables hiérarchiques, qu’ils appartiennent à la direction du site ou à la direction Europe, toutes ces personnes ont en commun d’avoir vécu et de vivre encore le covid au sein de l’entreprise. L’objectif est d’entendre et de rationaliser ce qui a été vécu pendant le covid en posant un constat extérieur précis : description, constat, analyse des faits et pistes d’amélioration de la situation sociale.
A partir de ce qui est exprimé, une synthèse est réalisée. Elle souligne la nécessité d’une rénovation du dialogue social : sur site, les élus comme la hiérarchie doivent mieux identifier les attentes, les espoirs et les inquiétudes de la base ; au niveau stratégique, il est nécessaire que le comité de direction France renoue une relation de confiance avec la direction Europe pour continuer à recevoir de la charge versus le choix d’un autre site est-européen.
Les 4 piliers de la Qualité Sociale guident notre démarche : l’axe du sens [Stratégie-Management] et l’axe de l’action [Relations sociales-Marketing social interne].
Le succès de l’approche Cardinale sud repose sur notre capacité à (re)mettre l’énergie collective en action, grâce à une démarche rigoureuse et une posture ajustée au besoin. Elle dépend aussi de la bonne volonté des acteurs de l’entreprise.
Une dernière clé de succès, qui dépasse les seuls enjeux du site, c’est la capacité de la direction Europe à changer de méthode par rapport à la France : il faut aujourd’hui adopter résolument un management qualitatif et pas seulement un management au tableur Excel. Work in progress!
De premiers résultats encourageants émergent.
Les équipes retrouvent de la flexibilité pour adapter la production aux aléas. On constate davantage d’anticipation : managers et syndicalistes sont plus proactifs par rapport aux attentes et difficultés du terrain.
Le nombre d’irritants sociaux et d’incidents de management diminue de façon constante.
Le dialogue social revient en force comme un outil efficace de gestion des incertitudes et, surtout, comme un levier de performance.