L’actualité sociale de la rentrée a bien sûr été dominée par les ordonnances modifiant le Code du travail avec, du côté des professionnels, une attention particulière portée aux changements affectant la représentation du personnel. Rien de plus naturel : le changement de grammaire du dialogue social ne peut qu’intéresser ceux qui le pratiquent au quotidien. Pour autant, mieux vaut prendre garde à ne pas tomber dans un formalisme étroit. Car, in fine, une seule chose comptera : notre capacité collective à apporter des réponses équilibrées aux questions très concrètes – et souvent complexes – que posent les profondes évolutions à l’œuvre dans le monde du travail. Certes, le Code du travail change, les IRP fusionnent, mais les enjeux à traiter, eux, ne changent pas ! Voici, à titre de réflexion, quelques-uns des sujets qui devraient, à notre avis, nourrir le dialogue social dans les mois et les années à venir. Une liste bien entendu non exhaustive…
Autrefois terrain privilégié du paritarisme, la formation des salariés est soumise à de fortes tensions dues à l’évolution des trajectoires professionnelles et des modes d’organisation des entreprises. L’abandon progressif des structures pyramidales qui allaient de pair avec des carrières linéaires et verticales oblige en effet les partenaires sociaux à se repositionner sur la façon de gérer les carrières et les compétences. Confrontées à un univers plus fluide, les entreprises ont tendance à privilégier une offre de formation plus diversifiée et individualisée sous la forme de parcours à la carte, tandis que les milieux syndicaux restent, à des degrés divers, attachés aux dispositifs collectifs et planifiés d’antan. Les salariés, quant à eux, nourrissent des sentiments ambivalents à l’égard d’une évolution qui renforce leur autonomie mais accroît aussi l’incertitude face à l’avenir. Faute d’un cadre légal commun de sécurisation des parcours – la fameuse flexisécurité -, c’est la qualité du dialogue social au sein de l’entreprise qui fait la balance entre la confiance et la suspicion.
Révolution digitale, redéploiement de l’entreprise vers le client plutôt que sur le produit, émergence de nouvelles formes d’emploi, quête d’agilité organisationnelle… Les évolutions radicales de nos façons de travailler impliquent un changement parallèle des politiques de rémunération. Au-delà même de la montée en puissance des collaborateurs extérieurs tels que les prestataires, les intérimaires et les free-lances, la politique de rétribution des salariés elle-même doit devenir plus fine. En effet, comment conserver une rémunération uniformisée dans une entreprise valorisant l’autonomie, l’engagement et la créativité de chacun de ses membres ? Les nouveaux modes d’organisation du travail et de management des hommes rendent inéluctable l’adoption de rémunérations plus individualisées de façon à récompenser de façon équitable les contributions de chacun. Afin de conjurer le spectre de l’arbitraire et de la défiance généralisée, il convient donc d’établir de nouvelles règles, objectives, transparentes et consensuelles, notamment quant à l’évaluation de chacun. L’enjeu du dialogue social prend ici la forme d’une gageure : parvenir à un accord collectif sur une politique de rémunérations différenciées.
Désir d’autonomie, refus des contraintes, allergie aux règles standardisées… Ces tendances lourdes de nos sociétés modifient d’un même mouvement nos façons de vivre et bien sûr de travailler, créant des dissensions d’autant plus vives que, face à ces bouleversements, nous faisons parfois preuve d’une certaine schizophrénie. Ainsi, nous critiquons le travail le dimanche comme travailleur mais nous nous en réjouissons en tant que consommateur. Or, au-delà du cas emblématique du travail dominical, c’est l’immense chantier de l’individualisation des conditions et des horaires de travail qui doit être traité, avec en toile de fond, la quête d’une meilleure articulation entre vies privée et professionnelle, l’essor du télétravail sans oublier la menace du désengagement voire de l’absentéisme en cas de non-satisfaction des aspirations… Pour les employeurs comme pour les représentants des salariés, la question va s’avérer complexe mais un terrain d’entente peut certainement être trouvé. En effet, cette fois, les uns et les autres sont confrontés au même défi : trouver, au sein des organisations, des règles équilibrées acceptables par des individus ayant tendance à ne juger de la validité de celles-ci qu’au regard de leurs situations et aspirations individuelles. Où l’on découvre que, dans un contexte de montée de l’individualisme, une négociation collective peut se révéler un atout pour sortir par le haut de situations apparemment inextricables.
Pour s’adapter à un environnement en perpétuelle mutation, les entreprises sont amenées à se transformer voire à se réinventer de façon continue. Dans un tel contexte, la confiance représente bien entendu un ingrédient indispensable à la performance. À l’instar des autres parties prenantes de l’entreprise, les salariés souhaitent disposer d’informations quant à son avenir et à la place qu’ils y occuperont. À plus forte raison, si des efforts particuliers leur sont demandés, ils désirent s’assurer qu’ils sont équitablement partagés. Leur engagement dans les projets de transformation repose donc sur la confiance qu’ils placent dans les décisions prises. Pour répondre à cette demande, la loi fait certes obligation à l’employeur de mettre à disposition des représentants du personnel une base de données économiques et sociales (BDES), rassemblant les informations relatives aux grandes orientations économiques et sociales de l’entreprise. Hélas, ce dispositif s’avère déficient. Non seulement, il n’est mis en place que par environ 40 % des entreprises, mais il se révèle souvent purement formel et inadapté pour des personnels peu rodés à cet exercice. D’où une exacerbation de la défiance avec les coûts exorbitants qu’elle induit en termes de démobilisation voire d’obstruction… Pour remédier à cette situation, il n’est d’autre choix que celui de la transparence qui seule peut permettre à chacun de s’engager en conscience dans un avenir partagé. Bien mené, le dialogue social n’est pas nécessairement un frein. Il peut devenir un facilitateur voire un accélérateur de projet.